(Tribune de Genève: 10.02.07)
Samedi 10 février 2007
Philip Morris dégaine son arme contre la fumée passive
Tabac - Le plus gros cigarettier du monde teste en Suisse un appareil susceptible de remettre en cause les interdictions de cloper.
Zurich/philippe rodrik
Philip Morris International dégaine une arme incroyable: le Heatbar supprimerait 90% de la fumée passive. Le leader mondial du marché de la clope teste à Zurich cette merveille électronique, susceptible de modifier complètement les relations entre fumeurs et non-fumeurs. Les essais sont effectués dans un bar de la vieille ville de Zurich, dont le tout grand designer californien Landor a habillé les intérieurs.
Le Heatbar ressemble à un micro du temps du rock ou à une brosse à dents électrique. Vous introduisez dedans une tige. Deux secondes plus tard, vous pouvez commencer à déguster huit bouffées. Pas une de plus, quelle que soit la force de vos aspirations. Vous expirez ensuite, bien sûr, pour expulser la fumée de votre organisme. Vous pouvez aussi modérer votre consommation et vos dépenses: tirer quatre taffes le samedi soir et finir votre sèche vingt-quatre heures plus tard.
«Ce mode de consommation nuit peu à la qualité de l'air d'un local, car il n'y a pas de combustion», indique le porte-parole de Philip Morris, Marc Fritsch. Le Heatbar se contente en effet de chauffer chaque cigarette à 500 degrés, en huit points et sur la longueur.
Et tous les soirs, à l'apéro, une foule joyeuse toraille dans le fameux bar. La gaieté paraît renforcée par la légèreté de l'air. Elle permet aux fumeurs et aux abstinents de se côtoyer de très près, tout en respectant les poumons des seconds et la liberté de tous. Même si, bien sûr, les fumeurs eux-mêmes courent toujours autant de risques avec les cibiches spécifiques au système Heatbar.
Leurs taux de goudron et de nicotine s'avèrent proches de ceux des cigarettes dites légères: 3 à 5 milligrammes de goudron et 0,2 à 0,3 milligramme de nicotine.
Grand chambard
Ces chiffres ne changent toutefois rien à l'essentiel: le produit conçu par le groupe domicilié à Lausanne pourrait complètement chambouler le débat politique.
En juin, les Chambres fédérales devraient aborder un projet de modification de la loi sur le travail, inspiré par une initiative parlementaire du conseiller national radical Félix Gutzwiller. S'il est approuvé, une interdiction de fumer concernerait 92% des personnes actives au travail. Ce régime serait aussi valable pour les clients de restaurants ou de discothèques employant du personnel.
Cette disposition viserait à limiter l'exposition aux dangers de la fumée passive. Mais le Heatbar risque de changer la donne. «Si les parlementaires décident d'interdire la fumée dans les entreprises, le Conseil fédéral devra établir des normes d'application. Nous ferons dès lors valoir de façon constructive les résultats de nos observations auprès de l'Office fédéral de la santé publique», prévient Marc Fritsch.
Bon pour le business!
Le cigarettier ne cache pas son optimisme. Vu les performances déjà constatées du Heatbar, et les standards internationaux existants, la clope dans les entreprises et les restaurants lui paraît à nouveau possible, en tenant compte
du volume des locaux, de l'efficacité de la ventilation et du nombre de fumeurs.
De grandes perspectives commerciales s'ouvriraient dès lors pour les industriels du tabac et de l'électronique.
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Les libertaires repartiront à l’attaque
Bien qu'acculé par les assauts contre la fumée passive, dans tous les pays développés, le cigarettier Philip Morris se sent pousser des ailes. Son bijou électronique Heatbar réduirait de 90% la fumée passive.
L'objet coûte 300 francs.
«Malgré son prix, des centaines de clients l'ont déjà adopté, se félicite Frédéric Baffou, responsable des nouveaux produits chez Philip Morris. En plus, 80% des utilisateurs commencent par un essai gratuit ou une location, puis 90% d'entre eux passent ensuite à l'achat.»
Fervent défenseur des libertés individuelles, l'ex-conseiller national genevois Charles Poncet se sent prêt à combattre tout projet d'interdiction si les résultats du Heatbar se confirment: «Un tel appareil permettrait de sauvegarder un droit de fumer beaucoup moins restreint. Les antitabac ne pourraient plus nous servir leur grand argument: les fumeurs nuisent non seulement à leur santé, mais aussi à celle des autres.»
Le médecin responsable du Cipret (Centre suisse d'information et de prévention du tabagisme), Jean-Charles Rielle, ne croit en revanche pas du tout au Heatbar: «De tels produits n'ont aucun avenir. Ce mode de consommation se trouve en total décalage avec les images retransmises par la pub.» C'est vrai. Comment cesser de fumer comme un cow-boy au travail? Comment ne pas vouloir parfois ressembler à Bogart dans Le grand sommeil?
Avec ou sans ces modèles, le tabac n'a pas fini de faire des dégâts. Près d'un tiers de la population suisse clope et les ventes ont augmenté de plus
de 1% l'an dernier. (prk)
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